Mercredi 26 novembre, Mélanie, Daniel, Jani et moi même animions durant 3h une présentation et un atelier (créé pour l'occasion) à Dialogue pour la Vie, un colloque en prévention suicide chez les Autochtones. Une thématique épineuse, à laquelle nous nous retrouvons parfois confrontés à travers nos actions (idAction, idAction Mobile, Trickster) et tâchons de répondre avec les outils dont nous disposons dans nos bagages, en favorisant le mieux être des jeunes.
Rapidement la salle se remplit : "enfin une présentation pour les jeunes", entend-on dans les rangs. Un petit tour de présentation nous permet de réaliser l'étendue des communautés et des Nations représentées dans le groupe. De tous âges, de toutes origines, de toutes langues.
Après une présentation des programmes d'Exeko - et un partage de témoignages de situations vécues relatives au suicide par nos médiateurs - arrive le temps d'illustrer par la pratique des pistes de solutions pour répondre à des questions chargées en émotion.
Nous invitons les participants à dessiner individuellement sur une feuille blanche leur portrait,
leur animal totem, ou encore quelque chose qui symbolise leur identité. L'exercice semble plus ardu pour certains que pour d'autres, les traits sont un peu hésitants, on se reprend à plusieurs reprises, l'inspiration n'est pas toujours au rendez vous. Nous récoltons néanmoins une pile conséquente de plus d'une vingtaine de dessins. Les participants restent sur leur faim et devront patienter 30 longues minutes avant de connaitre le sort de leurs portraits.
(C) Exeko
Retour de la pause. Une table, 4 personnages, masqués, pleins de cérémonial, incarnant respectivement "les évènements", "les autres", "l'Histoire", et "soi-même".
Sur une musique rythmée par des bruits d'usine, les allégories que nous sommes se lèvent et, mécaniquement, entament un processus de destruction des portraits.
Jani (les évènements), entreprend de rajouter des éléments au feutre, des collants, avant de passer les feuilles à Mélanie (les autres) qui les poinçonne, sciemment. Dorothée (l'Histoire) enchaine en aspergeant de quelques gouttes les portraits, dont les traits colorés commencent à baver, à se délaver. Enfin, Daniel (soi-même), chiffonne, et écrase du pied les dessins. Un bref coup d'oeil dans l'assemblée me dissuade immédiatement de les regarder pendant ce processus terrible. En une fraction de seconde je vois des faces en état de choc, des larmes, ds sourcils froncés, de l'incompréhension. Ca me fait peur, mais on ne doit pas flancher. La réalité, dure à affronter, peut être cathartique et l'exercice en vaut la chandelle.
(C) Exeko
Un rapide retour sur l'action destructrice nous permet de confirmer avec les participants que ceux-ci ont saisi l'idée. Ces dessins chiffonnés, abimés par la vie, donnent presque le goût de les expédier tout droit à la poubelle. Pourtant, nous cherchons une solution, et offrons aux participants de récupérer chacun un dessin qui ne leur appartient pas et, à l'aide d'une panoplie d'outils créatifs (paillettes, collants, tape, ficelle, ciseaux, papiers colorés...)...
nous les invitons à réparer, à guérir l'identité qu'ils ont entre les mains.
On n'effacera pas toutes ces marques que la vie a laissé, mais pourrait-t-on s'en servir de tremplin? Unanimement et assidument (à notre ravissement), les participants, visiblement très inspirés, se lancent dans cette opération de sauvetage. On se jase les uns les autres pour quérir des conseils, on rapièce, on complète, on transforme, on panse les plaies, on solidifie.
Rapiéçage, guérison (C) Exeko
C'est désormais le temps de récupérer son dessin initial, et de discuter ensemble de ce qui s'est produit, de ce processus de guérison créatif. Kristel demande qui est l'auteur de cette deuxième version de son dessin. De son nom, écrit en gros et en noir, la feuille s'est recouvert de brillants et Kristel, non sans émotion et sans remerciements, annonce à tous qu'elle désire afficher ce dessin sur le mur de sa chambre. Un autre participant demeure bouche bée: sur son animal totem - un serpent - une main créative a dessiné un calumet identique à celui de son Grand Père. Un ajout qui semble lourd de sens. Ce même participant explique la transformation qu'il a lui même appliquée au dessin d'une femme, auquel Jani avait ajouté une bouteille. "Je ne peux pas enlever le passé, alors j'ai calqué avec l'aide de la lumière son dessin, en enlevant simplement la bouteille, et en ajoutant des collants de limitation de vitesse, pour dire qu'il faudra faire attention par moments". Plusieurs collants ont été ajoutés, chacun dans un but bien précis de prévention. Un jeune garçon semble également très surpris: le loup qu'il avait représenté vient de se voir affublé d'un chapeau de diplomé. Pour ce jeune, la coincidence est d'autant plus marquante qu'il est dans son année de graduation.
Kristel (C) Exeko
Les témoignages se poursuivent ainsi. L'expérience semble avoir porté ses fruits. Plusieurs dessins ont été découpés, et recollés sur des papiers plus solides, comme "backés". Beaucoup scintillent, désormais.
Un participant soulève l'unité entre les différentes Nations que l'activité a permis, le dialogue qu'elle a ouvert. D'autres saluent chaleureusement le nouvel outil que représente cette activité dans leur travail d'intervention.
On peut désormais confier l'angoisse que nous avons eue en detruisant leurs dessins, et certains participants avouent le stress vécu de voir leurs dessins amochés. Des solutions sont nées, la créativité est à l'honneur et a permis aujourd'hui une fois de plus d'illustrer ces petits gestes simples que nous pouvons faire pour aider notre prochain.
Le serpent au calumet (C) Exeko
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