Submitted by Jason Pare on
Texte: Richard Sabeh
Tous les mercredis, depuis le mois de juin et pour tout le reste de l'été, Exeko anime des ateliers idAction aux Jardins Gamelin. Il s'agit d'une opportunité de libérer l'expression des participant.e.s en les engageants dans des discussions philosophiques, des débats d'actualités et des activités artistiques. Situé à l'ouest du parc, le cabanon partagé de la Société de Développement Social s'est transformé en une véritable agora où l'ouverture et la parole sont mises au service d'une meilleure compréhension de notre société.
Au fil des semaines, les participant.e.s ont contribué à l'élaboration d'une réflexion collective prenant racine dans leur quotidien à commencer par le lieu même où elle s'est déroulée. Les Jardins Gamelin ont en effet subi de profondes transformations dans les dernières années, ce qui nous a semblé suggérer une réflexion sur l'identité et la possibilité du changement. Les habitué.e.s du parc ne manquaient pas de chose à dire à ce sujet et n'ont pas hésité à faire le lien entre l'identité du parc et la leur.
L’un des participants qui le fréquente assidûment, comme les archives de la BAnQ, nous replonge dans l'histoire du parc et de la religieuse de qui il tire son nom. La Bienheureuse Émilie Gamelin a voué sa vie à améliorer le destin des femmes les plus démunies, des personnes âgées sans famille, des personnes souffrant de graves déficiences, des mésadapté.e.s, des sans-emplois, des immigrant.e.s frappé.e.s du choléra ainsi que des insurgé.e.s de la rébellion de 1837 incarcéré.e.s à la prison du Pied-du-Courant. Pour lui, les Jardins Gamelin qui occupent l'ancien site de l'Asile de la Providence qu'elle a fondé, tiennent leur identité de cette femme, mère des causes sociales de Montréal, ayant tout donné pour aider les autres. Il souhaite que son héritage y soit préservé et reconnait que malgré les changements, plusieurs des ressources qu'on y offrait, comme les distributions alimentaires, le sont toujours. Toutefois, il pense que la transformation du parc aurait dû favoriser davantage la mixité sociale. « Un ami, c'est comme vous, quelqu'un qui écoute, quelqu'un qui te parle. C'est un être humain, pas un objet, pas quelqu'un qui te traite comme un objet. Mais parfois, comme ici, on donne une concession, on nettoie le gazon, c'est beau. Et je comprends les commerçants qui pensent à leur portefeuille mais quand on considère les gens comme un problème parce qu'ils ne sont pas des clients, c'est les traiter comme des objets. Ce n’est pas ça être un ami. » Pour lui, on ne peut pas changer d'identité, qu'il s’agisse d'un lieu ou d'une personne, mais on peut devenir la meilleure version possible de soi-même.
Ces inquiétudes ont trouvé échos chez un autre participant, résident du quartier qui vient moins régulièrement au parc depuis l'aménagement de la terrasse et de scènes de spectacle. « Il y a trop d'activités. Je préférais quand c'était plus tranquille. Je me sentais moins sollicité. Il y a un sentiment de liberté qui émane d'un terrain vague. Maintenant avec toutes les animations, c'est comme si je devais venir pour y faire quelque chose. Je venais juste pour être tranquille. Ce n’est pas quelque chose ça. »
Un troisième participant, qui est ici pour l'été et se promenait dans le parc avec son sac à dos d'expédition, croit pour sa part fermement au changement. « Avant je buvais beaucoup, mais là j'ai arrêté et c'est sûr que ma personnalité a changé. » S'il ne connaissait pas le parc avant de nous rencontrer, il ne doute pas qu'il soit possible d'en faire un lieu où tout le monde se sentirait accueilli.
À la volée, nous entendons une femme qui discutait avec ses ami.e.s sur le côté du cabanon se lever et s'écrier en riant : « De temps en temps on meure, pis de temps en temps on ressuscite. » À plusieurs reprises nous avons recueilli les récits de ces hauts et de ces bas que vivent régulièrement la population en situation d'itinérance. On nous confie parfois aussi que l'aide reçu d'organismes, de la famille, mais surtout de leur réseau de support social contribue à leur donner la force nécessaire pour faire des changements positifs et s'aimer davantage. « On ne peut pas faire le travail à la place de quelqu'un. On peut lui offrir notre aide, notre écoute et les ressources pour lui donner une chance. Mais on ne peut pas forcer quelqu'un à changer. » Ces mots semblent faire consensus puisqu'ils nous sont parvenus sous une forme ou sous une autre de plusieurs participant.e.s.
La communauté des Jardins Gamelin est à l'image de Montréal, hautement diversifiée. Mais à l'heure actuelle, on voit dans le parc des groupes cantonnés en deux grandes sections : l'avant, donnant sur les restaurants de Sainte-Catherine et l'arrière, bordant la gare d’autobus du boulevard de Maisonneuve, dessinent les contours de deux mondes qui se côtoient sans se rencontrer. On se prend à rêver que cette frontière imaginaire se transforme en point de contact. Peut-être qu’il s’agit de sa vocation.
L'avis de notre participant historien : « Je pense qu'on doit travailler à raffermir le tissu social, il est blessé. Je pense que ça règlerait bien des problèmes, peut-être même une partie de la criminalité. Si les gens se connaissaient plus, se saluaient et se parlaient. Je pense qu'il y aurait moins de crime, moins de souffrance ; ils auraient moins peur. »
Juste avant de partir, au moment où nous fermions le cabanon, un homme qui saignait de la joue et sa copine sont venu.e.s nous demander de l'aide. Un médiateur de la SDS leur a remis de l'alcool et des pansements et nous leur avons installé deux chaises. Une fois qu'elle eut nettoyé et pansé la plaie, elle chuchota à son patient : « Si j'avais plus d'équipement je t'aurais guéri au complet. »
Le gouvernement du Québec fier partenaire du programme idAction