Par Alessia De Salis, Artiste-intervenante
Trickster@Waswanipi
Mon premier Trickster terminé. Deux semaines, qui ont passé en un instant mais qui m’ont semblé être 2 mois tellement elles étaient chargées. Des rencontres marquantes, des moments d’émotions, des jeunes inspirants et d’autres plus confrontants.
John* : un garçon de 14 ans, démotivé, désintéressé de l’école, de la vie. Premier jour du Trickster il se présente comme étant celui qui ne veut rien apprendre, ni savoir et surtout qui n’a rien à retirer de nos ateliers. Assis à l’écart des cercles de discussions, seinant autour des activités sans jamais vraiment y participer, il reste pourtant jusqu’à la fin du premier jour, puis du deuxième.
(c) Exeko
À la troisième journée d’activités, de ses grosses mains malhabiles, il prend les bâtons fleurs, surtout pour les lancer sur ses collègues, ou simplement les lancer par terre lorsqu’on le regarde, pour s’assurer qu’on sache qu’il n’est bon à rien. Mais plus les jours passent, plus il trouve des moyens de subtilement se rapprocher du cercle de discussions et de rester un peu plus longtemps à la fin des ateliers… Jour 4, jour 5, les bâtons fleurs sont toujours entre ses mains, et John est allongé à côté de moi, dans le cercle de discussions :
- On a juste fait un jeu aujourd’hui...on devrait en faire un autre.
Puis le concept du spectacle arrive. Les jeunes sont invités à présenter leurs «Tricks». Cette fois-ci, John refuse de venir se joindre à nous, il garde ses bâtons fleurs serrés contre lui, et va s’allonger sur le coté du gymnase pour nous indiquer clairement qu’il ne fera aucune présentation. Mais, quelques mots d’encouragements personnalisés et les applaudissements de ses collègues l’incitent à se relever de peine et de misère et à se diriger, très lentement, derrière le paravent. Puis, malgré sa peur envahissante, John sort de derrière du paravent pour venir d’abord lancer ses bâtons fleurs au sol, mais à travers les encouragements et les applaudissements il réussit à montrer ses «tricks» et surtout à surmonter sa peur.
(c) Exeko
Les jours passent et l’idée du spectacle se concrétise de plus en plus. John, trouve toujours une manière de se désengager du spectacle malgré qu’il soit toujours le premier arrivé et le dernier parti des ateliers. Il pratique ses bâtons fleurs assidûment et même s’implique dans les scènes que nous pratiquons avec ses collègues. Lors de la mise en scène du numéro de bâtons fleurs, il me rappelle avec insistance sa partie dans le numéro, de peur que je l’oublie peut-être ou que je le mette de côté. Mais chaque jour il continue de nommer les raisons de l’échec de notre spectacle.
La veille des représentations, nous apprenons qu’un Aîné est décédé et que nous devrons donc annuler le spectacle du soir par respect pour la communauté. C’est dans les yeux de John que je remarque la plus grande déception.
Tout de même, 2 représentations auront lieu devant les écoles le lendemain. La journée du spectacle, John vient me voir pour me dire à quel point il a peur, et comme tous ses amis, le stress l’envahit.
Mais maintenant ils ont tous la capacité d’en parler. Les jeunes se serrent dans leurs bras en coulisse, vérifient compulsivement leur «preset» et leur ordre de passage dans le spectacle.
- J’ai peur que tout le monde rie de nous.
- Ouain, ils vont se foutre de notre gueule.
Avec eux, en coulisse, je sens le stress du show monter en moi, comme une maman poule. Et leurs petits bras fébriles qui viennent me quêter du réconfort. Je cache mon stress pour leur donner du courage au travers de grande phrases d’espoir que je crois trop «kétaine» mais, les yeux rivés sur moi, ils acceptent mes encouragements. Ils me regardent avec toute leur confiance et d’une grande inspiration, foncent sur scène.
(c) Exeko
Notre Légende raconte une histoire de courage, et les jeunes trouvent la force de monter sur scène et d’épater leur école au grand complet ainsi que tous les professeurs.
Après le spectacle, John est encore un des derniers à partir. Il réalise lentement que c’est la fin de l’aventure Trickster. Assis devant nous, incapable de dire les mots, on sent toute la reconnaissance de John. Comme un petit animal, il va donner un calin maladroit à Manu.
John : Au début je ne croyais pas qu’on pouvait faire un spectacle…..mais je l’ai fait…!? Quand est-ce que vous revenez….
J’ai pas pleuré mais presque….
Merci à la communauté de Waswanipi pour leur accueil chaleureux!
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*Nom fictif