Un aperçu des ateliers idAction @ Maison du Père
Par William-J. Beauchemin, médiateur idAction
«Il n'y a personne de plus intelligent que quelqu'un d'autre.» (Serge)
«One person can't know everything. But all together, we know everything. Because we all are fragments of humanity.» (Jacques)
Ces quelques mots concluent cet atelier de médiation intellectuelle, mais ils pourraient tout aussi bien être dits en guise d’ouverture : en ceux-ci, l’égalité des intelligences, concept qui permet la «prise de conscience par tout homme de sa nature de sujet intellectuel[1]», devient réalité, se concrétise et illustre bien l’accès à des expériences et pratiques réflexives bien souvent confisquées à plusieurs par des logiques sociales inégalitaires.
Ce jeudi soir, à la Maison du Père, dans une salle plongée dans la nuit, éclairée à la lumière des néons et aux lueurs de l’avenue René-Lévesque, on s’interroge sur le pouvoir. « Qu'est-ce que le pouvoir ? » peut-on lire sur les affiches ornant les murs et sur les feuillets qu'on distribue pendant le souper. Pour près d’une trentaine de participants qui se joignent à l’atelier, usagers du refuge de la Maison du Père, la question résonne et exige le raisonnement. Question philosophique, s'il en est, question insoluble, bien évidemment, mais certainement pas question inutile : « le pouvoir est omniprésent » nous rappelle Marcel. D’ailleurs, Michel Foucault ne disait pas autre chose lorsqu’il affirmait cette « omniprésence du pouvoir[2] » au sein de nos sociétés. Marcel n’a pourtant pas lu Foucault, mais peu lui importe, tout comme Foucault, il est capable de penser.
© Bansky, sur les murs d'une maison anglaise de Cheltenham, ville abritant les bureaux des services secrets du Royaume-Uni
Le pouvoir, capacité ou domination?
Pour Jean-François, le pouvoir est surtout une « dépense d’énergie » et, au final, « une interaction d’énergies » qui permet à la volonté d’accomplir ce qu’elle cherche à accomplir. Cette question de la volonté en interpelle plusieurs : « Quand on veut, on peut ! » dit l’adage. C’est oublier la nécessité d’avoir la capacité physique requise pour pouvoir effectivement dépenser cette énergie et réaliser notre volonté, répondent certains en cette semaine des personnes handicapées. L’objection est entendue; mais un participant soulève tout de même l’importance de l’espoir dans la recherche du pouvoir : sans capacité, pas de pouvoir, mais sans espoir, pas de développement de nos capacités.
Un autre angle de réponse est proposé par Jean-Guy : « Le pouvoir, c’est le contrôle ». Oui, et échapper au pouvoir, c’est être indépendant du contrôle ajoute Stéphane. Pour lui, le pouvoir est aussi un jeu d’illusions qui permet ce contrôle : « La personne qui semble la plus forte est bien souvent celle qui est le plus faible psychologiquement. […] Il faut distinguer entre la perception du pouvoir et sa réalité ». L’apparence est souvent trompeuse, et plusieurs savent habilement comment en abuser pour assurer leur propre domination.
Est-ce que le pouvoir est une question de libre arbitre ou de moyens à notre disposition? Question difficile. Le pouvoir est une question de libre arbitre : le pouvoir n’implique-t-il pas des responsabilités? D’ailleurs, Alexandre suggère que la question du pouvoir ne peut être séparée de la question de la sagesse. Il prend l’exemple de la maître de Kung-Fu qui était venue deux semaines auparavant dans nos ateliers : « In martial arts, it is not important if you have big muscles. The important thing is how you use them. To be powerful, you have to be wise ».
© La tentation de Saint-Antoine, Salvador Dali, revisitée par un auteur inconnu sous l’angle capitaliste
Le pouvoir ne peut pas seulement être une question de libre arbitre : « on le voit bien, les gens se battent pour avoir le pouvoir à chaque élection». Luttes pour le pouvoir qui, pour Normand, se ramène à la capacité à « avoir de l’argent, des bouts de papiers qui t’assurent du pouvoir ». Jacques en rajoute plus tard : ce n’est pas seulement une question d’argent, c’est le capitalisme lui-même qui crée cette « roue de hamster du pouvoir » dans laquelle nous serions pris. Alexandre rajoute même qu’aujourd’hui, on veut acheter le bonheur « as any other commodity ». Marx n’aurait pas dit mieux.
Thierry refuse cette conception et affirme qu’il faut distinguer plusieurs formes de pouvoirs et que l’argent n’en est qu’une parmi plusieurs. Peter l’appui et propose quatre niveaux de pouvoir : gouvernemental, matériel, culturel et familial. Il va plus loin et propose une démocratie socio-culturelle : une démocratie ancrée dans l’idée d’une ouverture aux autres cultures, dans l’enrichissement mutuelle et dans la distribution équitable du pouvoir entre tous. Une brèche est ouverte pour penser l’inscription sociale du pouvoir.
Anarchie, règles et empowerment
Il faut distinguer entre une organisation hiérarchique du pouvoir et une organisation anarchique dit Jacques. L’organisation anarchique du pouvoir permet l’empowerment, la distribution du pouvoir à tous et chacun en leur faisant réaliser leur capacité et leur pouvoir d’agir. Jacques se lance au tableau et représente schématiquement une organisation sociale sous formes de réseaux : le pouvoir est distribué, bottom-up, contrairement à une organisation pyramidale, top-down. Yvan en rajoute plus tard en montrant, également sur le tableau, que notre société, organisée de manière pyramidale, s’est renversée : « avant, ceux en haut reposaient sur l’existence de la société pour être au pouvoir, aujourd’hui, la société repose sur ceux au pouvoir pour exister » !
© Nick Stern rend hommage à Banksy
L’anarchie ne plaît cependant pas à tous comme idée. Jean-François croit que l’anarchie mènera au chaos. « Il faut des règles dans la société, sinon comment s’assurer, par exemple, du respect la signalisation » ? Un autre débat émerge : si on veut savoir si l’on peut se passer d’une autorité qui impose des règles, il faut déterminer si ces règles que l’on suit ont une origine interne ou externe. Un participant affirme que les règles sont externes, elles proviennent justement d’une autorité à laquelle on a attribuée du pouvoir. Un autre participant renchérit : cette autorité, c’est celle des générations qui nous ont précédées. Thierry croit plutôt que les règles, en prenant l’exemple du droit, doivent provenir d’une inclination naturelle de l’être humain au respect de soi et des autres : elles prennent ainsi leur origine à l’intérieur des individus.
Je suggère qu’il s’agit d’un faux dilemme, concept que nous avons vu la semaine passée en écoutant le dernier débat des chefs. Les deux options ne s’excluent pas. Le participant qui parlait des générations précédentes acquiesce : oui, même dans le cas des générations précédentes, les règles provenaient des intuitions internes de nos parents et grands-parents. L’œuf ou la poule?
© baubauhaus.com
Encore passionnés, nous arrivons à la fin de l’atelier. Je propose à chacun de donner leur propre définition du pouvoir. Le pouvoir est alors : l’union, la libre pensée, un meilleur contrôle de la société, l’investissement de l’individu dans sa société, le respect et l’égalité, une capacité à développer, une capacité à développer d’une façon positive, l’interaction d’énergies, une volonté et une capacité, une structure, l’absence et le silence, le rapport à soi et aux autres, à l’intérieur et à l’extérieur, un cycle, une quête, une relation.
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[1] Rancière, J. Le maître ignorant. P.62
[2] Foucault, M. Histoire de la sexualité, I . p.122
Merci à tous les participants des ateliers idAction qui, chaque jeudi, sont présents et nourrissent les débats et les réflexions ainsi que leur relecture critique de cet article.
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