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Nous voilà en Gaspésie, dans la vibrante communauté de Listuguj, aux abords de la majestueuse rivière à saumon de Lustagooch (Restigouche), traditionnelle voie de déplacement majeure des Mi’gmaq, d’un blanc immaculé en ce temps hivernal. Depuis lundi dernier et jusqu’au vendredi 21 mars 2014, nous animons des ateliers idAction au Listuguj Mi’gmaq Development Center (LMDC) où nous avons l’occasion de travailler avec plus de 70 participants de 18 à 60 ans qui évoluent au sein de divers programmes, dont Preparing for the Journey, orienté envers les jeunes de 18 à 24 qui explorent des avenues de carrière et d’action sociale, le programme SIPU, Seeking Independance, Preventing Underemployment, qui cible des participants de 18 à 30 ans qui ont des difficultés à trouver une place sur le marché du travail et finalement le groupe d’éducation pour adultes. Fort de son personnel autochtone issu de la communauté, le LMDC nous fait découvrir des approches tout à fait innovantes qui allient les savoirs issus du travail social et de la pédagogie aux savoirs autochtones concernant la guérison, la compréhension du monde et la co-construction des savoirs. Les ateliers ont lieu en anglais, langue majoritaire des interlocuteurs de la communauté en plus du Mi’gmaq.
Une introduction à la pensée critique pour ensuite se plonger dans l’analyse sociale
Nous employons pour l’entrée en scène, des exercices de réchauffement inspirés du programme Trickster, pour dégourdir les neurones et activer la communication. Des balles, représentant des « messages », sont tour à tour lancées et attrapées par toutes les personnes impliquées, avec pour seule règle l'interdiction d'user de la parole - il s'agit de s'assurer, par le contact visuel, que l'autre personne est prête à recevoir le message. De plus en plus de balles entrent dans le jeu, accentuant la difficulté de se concentrer dans un « flux de messages ». Puis, second jeu, un « message » - un « handclap » - doit passer de participant à participant, en suivant le cercle, comme la circulation d’une onde. Une deuxième, puis une troisième onde sont progressivement insérées dans le cercle, augmentant le niveau de difficulté, métaphore du flux d’information qui circule à notre ère (messages publicitaires, slogans politiques, textes messages, idéologies etc.). La pensée critique se dessine donc comme cet outil indispensable pour faire le tri des nombreux « messages » et savoir orienter son attention.
Retour en salle de classe, les médiateurs se cachent, le temps de mettre leurs « masques » pour le théâtre-forum qu’ils ont préparé. Le personnage Flow of messages attaque Somebody avec des sophismes, le réduisant à l'angoisse et au désespoir, jusqu'à ce que Critical Thinking vienne redresser sa posture en lui enseignant la position de base du Kung Fu intellectuel, le Critical Thinking Stance. Le rire est au rendez-vous !
(c) Exeko
Les trois axes du programme idAction (pensée critique, analyse sociale et participation citoyenne) sont présentés comme d'abord la mise en ordre des idées et des pensées, puis la compréhension de l'environnement, puis par l'imagination, la créativité et le passage à l'action. La métaphore du chasseur égaye et simplifie la compréhension car le chasseur doit tout d’abord s'assurer d'avoir les bons outils, puis s'assurer de connaître la forêt afin de partir à la chasse. Nous pouvons dès lors commencer à explorer les sophismes par un va-et-vient entre ceux employés dans le sketch, la liste exhaustive des sophismes issus du document Arguments Rhétologiques (une gracieuseté de Information is beautiful), des vidéos (politiciens et publicités) et d'autres exemples issus des participants. De retour sur le Critical Thinking Stance, nous remarquons que les participants ont recours à leurs crayons et leurs cahiers de notes pour noter les trois étapes indispensables qui composent la position de base du kung-fu intellectuel.
(c) Exeko
(c) Exeko
Sigmund Freud et sa découverte de l'inconscient et des pulsions comme force motrice de l'être humain, Edward Bernays, neveu de Freud et auteur de « Propaganda » avec un extrait du documentaire d'Adam Curtis "The Century of the Self", ou définition de la nature humaine, les thématiques abondent pour lesquelles un esprit critique aiguisé permet l’analyse sociale.
Puis, place à l’action, par la création d’un débat autour du projet MarsOne : faut-il ou non aller sur Mars ? Le but est d'appliquer le plus de sophismes possible dans la construction des argumentaires pour ou contre. Ou bien, séparons-nous en sous-groupes pour imaginer un objet fictif qui pourrait servir sur Mars et créons une publicité jonchée de sophismes pour « vendre » cet objet. Sinon, travail en sous-groupes pour définir la nature humaine. Les participants ont une vision bien positive de la nature humaine, et la violence ou l'égoïsme ne font pas partie de leurs conceptions de nos racines fondamentales.
(c) Exeko
(c) Exeko
La magie de la co-construction des savoirs
Il est toujours quelque peu intimidant de faire ses premiers pas dans une communauté autochtone, aurons-nous notre place, serons-nous pertinents, les ateliers seront-ils appréciés ? Après une semaine d’ateliers idAction, nos appréhensions se sont dissipées par cette rencontre plus que stimulante avec des participants allumés, intéressés et intéressants, un personnel motivé et des sourires contagieux. La co-construction des savoirs et les techniques d’approche créatives employées dans le programme idAction, telles que la mise en situation, les jeux de rôles, et l’instantané créatif transforment la pensée critique en un objet saisissable. Il anime les esprits de toutes cultures et horizons et le décortiquer, le discuter, se l’approprier crée un effet capacitant visible à l’œil nu.
Les témoignages oraux et écrits des participants nous démontrent la pertinence de nos ateliers : "We get some people coming to us every month for all sorts of presentations but you guys are really different. Critical thinking is really important and that is what we need and it’s really interesting … I can see that the whole group is really excited and looking forward to seeing what you have to offer this afternoon", Ian, participant idAction du groupe SIPU du Listuguj Mi’gmaq Development Center. La sérénité et la beauté des lieux, jumelé aux compliments touchants des participants nous émeuvent et stimulent notre motivation déjà débordante. Nous nous préparons pour une deuxième semaine d'ateliers et de la stimulante co-construction des savoirs qui s’y opère avec ces individus riches en idées, en créativité et en esprit critique à qui nous lançons un généreux Wela'lieg !
(c) Exeko