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En vue de Fin Novembre, évènement annuel de rassemblement pour les sans-abri organisé depuis des années par l’ATSA, (Action Terroriste Socialement Acceptable), la campagne Dormir Dehors a fait parler d’elle. Il s’agit d’une campagne citoyenne de reconnaissance des personnes qui dorment dehors, un "je t'ai vu" exprimé par le geste photographique exposé, dont l'éthique de base était de ne pas reconnaître le lieu, ni la personne, et de ne pas la déranger (aucun visage n'est montré). Or, cette façon de faire "à l'insu" des itinérants a créé une polémique soulevée par des groupes communautaires autour des questions d'éthiques et d'inclusion".
A travers trois groupes idAction, à l’ Accueil Bonneau, à la Maison du Père, et à Plein Milieu, 5 médiateurs Exeko sont allés recueillir l’opinion directe des personnes touchées de près par la problématique de l’itinérance. Les débats, très respectueux, se sont appuyés sur ces actualités pour aborder les thèmes de l’art activiste, de l’art communautaire, de l’art au service du changement social. L’idée est de réfléchir ensemble à un argumentaire composé de points positifs comme négatifs, afin de résumer la vision des communautés de réflexion ici constituées.
Mercredi matin, à Bonneau, le local d’art dans lequel Daniel et Maxime donnent depuis des mois les ateliers est baigné ce matin-là par le soleil. La bonne humeur rajoute encore un peu de charme au lieu. Les participants arrivent en grand nombre, je compte plus d’une vingtaine d’hommes au temps fort de l’atelier. Je reconnais certains visages, rencontrés, justement, à FIN NOVEMBRE l’an passé… Maxime poursuit ce jour la le débat commencé la semaine passée avec les gars. Cette fois, deux positions sont rapidement proposées, et je m’engage auprès des gars à en porter la synthèse sur notre blog. Le débat, comme l’explique Maxime, adopte au fur et à mesure naturellement un schéma classique d’opposition entre « conséquentialisme » et déontologie, et s’élève philosophiquement.
A Plein Milieu, la veille, Marie Paule et Claude, médiatrices, abordaient également le sujet durant le souper idAction, sous l’angle « Art et changement social », à savoir comment l’art participe au changement social, différencier art-thérapie, art communautaire et art activiste.
Enfin, jeudi passé, Marie Paule et William répondaient positivement à Annie Roy, directrice de l’ATSA, qui proposait de venir présenter et débattre de la campagne avec les gars de la Maison du Père. Certains la connaissent déjà, militant ou participant d'une autre année à Fin novembre. Ils sont environ une trentaine au total à joindre la discussion et à réfléchir sur la légitimité de la campagne, réflexion où éthique, esprit critique et analyse politique stratégique sont au rendez-vous. Un débat très animé, dont chaque membre était consciencieusement informé des enjeux par les médiateurs, et dont l’issue, malgré quelques désaccords persistants, optait pour de la compréhension et de l’absence de rancœur.
Voici donc les grandes lignes dégagées de ces 3 débats :
Les arguments avancés par la position déontologique placent l’éthique avant toute chose : peu importent les conséquences si la façon de faire n’est pas éthique alors l’action n’est pas bonne. La crainte d’une stigmatisation, l’atteinte à la dignité et à l’intimité sont notamment cités et, à la Maison du Père, on se questionne sur les droits de la personne. Il aurait probablement été plus à privilégier d’agir collectivement, de façon consciente et concertée, menant à une action peut être plus poussée avec les sans-abri. « On est comme une famille, le monde de la rue, faut qu’on s’entraide, qu’on fasse une action ensemble », appuie l’un des participants de Bonneau. D’un commun accord, le manque d’information autour de la campagne peut déranger, un consentement aurait été plus respectueux, notamment par rapport au fait d’être reconnu par des familles qui ignorent peut être la situation de leur proche. Les personnes photographiées à leur insu pourraient ne pas souhaiter être associées à l’itinérance, mais certaines auraient surement accepté. L’itinérance ne doit pas être définie uniquement par le fait de dormir dehors, dit-on à Plein Milieu. La campagne est jugée par certains participants de Bonneau trop abstraite, manquant de concret. Selon eux, elle ne s’appuie pas assez sur le potentiel individuel, ne crée pas assez de solidarité entre les milieux, et risque également de normaliser ce type d’action. Cet argument est appuyé par le groupe de Plein Milieu qui prône des histoires individuelles plutôt que des images, qui banalisent le problème. Une crainte de non possibilité de protestation par les participants est exprimée, pour des raisons de temps, de ressources, voire de santé mentale, ou tout simplement de méconnaissance des faits.
Face à cela, les arguments « conséquentialistes » rejoignent la position selon laquelle la fin justifie les moyens. La campagne est bonne dans la mesure où elle provoque des débats « excellents », créé un effet et donc des résultats concrets, fait parler d’elle et donc de la cause inhérente, de sujets sociaux réels et méconnus tels que l’itinérance, mais aussi le logement, l’emploi, les préjugés, le changement, la loi. « Le crime profite à la personne photographiée », résume un des gars. Les participants des trois groupes soulignent le caractère direct, « dans ta face », interpellant de la campagne. A Plein Milieu, les participants trouvent qu’elle a davantage d’effet que des levées de fonds traditionnelles, et préfèrent l’authenticité des images à des images qui seraient plus posées. L’idée de départ est bonne, et permet de soulever de vrais enjeux sociaux, dont il faut que tous les citoyens aient conscience, par un acte concret. Le groupe de Plein Milieu fait remarquer que dans notre société, la confidentialité est brimée à bien des égards dans des situations bien plus graves, dont il faut se soucier. Elle permet de contrer les tabous : « l’itinérance a un visage, il faudrait le montrer », ajoute l’un des gars, à Bonneau. Elle offre une information réelle, non publicitaire, et pourrait même légitimer le droit de dormir dehors. Par ailleurs, certains expliquent que bien d’autres organismes utilisent ce genre de pratique, parfois sans prendre le soin d’anonymer la personne. Certains trouvent que vivre dans la rue, c’est renoncer à l’anonymat, mais certains y vivent aussi par choix, complète la gang de la Maison du Père. Qu’en est-il des photos prises dans les manifestations ? S’interroge ce même groupe. L’ATSA est reconnue comme un organisme qui vient vraiment en aide aux personnes en situation d’itinérance, en faisant de la pression sur le gouvernement, arguent-ils. Les participants de Bonneau sont nombreux aussi à reconnaitre les bienfaits de Fin Novembre. Les participants approuvent l’utilisation de l’art comme porte-parole de messages sociaux, comme voix des marginalisés.
A Bonneau, le débat est animé, je suis vraiment agréablement marquée par le taux de participation très élevé : il y a une file d’attente dans les tours de parole. Les gars s’autorégulent, ce que je trouve assez génial. Lorsque l’un d’eux, hispanophone, cherche à exprimer son point de vue, un de ses camarades, bilingue, se propose tout naturellement pour faire de la traduction simultanée. Tous les autres gars montrent une attention poussée à cette intervention dont ils ne comprennent pas la plupart des mots au premier abord, étant francophones. L’un va réveiller doucement son voisin qui sommeille sur sa chaise, pour lui proposer du café, et l’inclure dans l’atelier. J'imagine, en voyant les connexions qui se sont faites entre les 3 ateliers, dans trois lieux différents, que les autres débats ont du être tout aussi fascinants.
« C’est correct jusqu’à la frontière de la criminalité et de l’immoralité. Tant que cela respecte la légitimité et la sécurité de la personne, on peut dire n’importe quoi sur moi si c’est la verité » (W., participant de l’Accueil Bonneau)
Le débat s’acheve à Bonneau sur une question, qui, peut être, animera l’atelier suivant : y a t il une vie privée dans l’espace public ? A Plein Milieu, il a permis de faire émerger des questions sur la nature même de l’art : l’art est-il fait pour l’opportunité ? À la Maison du Père, l'atelier se termine sur une réflexion plus générale sur la relation entre les fins et les moyens : peut-on arriver à la justice par l'injustice, à la paix par la guerre?
Dans les 3 groupes, des participants en grand nombre ont témoigné apprécier fortement avoir pu s’exprimer sur le sujet, donner leur opinion, faire entendre leur voix. Nous veillerons à leur transmettre ce compte rendu au prochain atelier. Annie invite les participants à venir continuer cette discussion Place Emilie Gamelin, durant l’évènement.
Pendant 3 jours, Exeko tient, comme l’an passé, un kiosque de médiation intellectuelle et culturelle idAction au sein de la place publique. Ateliers d’esprit critique, enigmes, débats, création d’œuvres collectives, prêt de livres, et autres surprises y seront proposées ! Venez nous visiter pour le dernier jour, dimanche de 12h à 17h !