Par Alexis Penaud : 11/23/2017 - 15:22
Texte : Camille Laurent
Image d'en-tête : Mikaël Theimer pour Exeko
Soir de novembre, le froid nous transperce déjà les os. Ce soir pas de réunion entre ami.e.s dans un de ces chaleureux bars de micro montréalais. Ni de concert endiablé au rythme de la vibe montréalaise bien connue. Ce soir pas de match des Canadiens à regarder chez soi bien au chaud. Ni de plats gourmets à savourer au comptoir d’un restau délectable.
Ce soir en fait, c’est une tout autre ville qui s’étend sous mes pieds. Une ville dans la ville, l’alter ego plus sombre du point de mire des hipsters, des étudiants français en mal du pays, des jeunes ambitieux aux rêves de start-up, des voyageurs et voyageuses aguerri.e.s et de la coolitude. Une ville aux facettes nombreuses et contradictoires, aux reflets à la fois éclatants et sinistres, comme un joyau qu’on aurait poncé à moitié, et qui font d’elle un lieu parfois difficile d’accès, hermétique et complexe. Ce soir en fait, je me rends compte que ma ville, celle que j’habite et qui m’accueille, celle où j’évolue, m’épanouis et grandis, cette ville-là est bien différente de cette Montréal. Ce soir, les quartiers étudiants et trendy s’enveloppent d’une chape brumeuse qui n’a rien de l’apparat de mon monde, où les rues commerçantes n’offrent leurs devantures chatoyantes qu’aux privilégié.e.s, où l’American Dream de rigueur résonne comme une vaste bullshit à l’oreille de certain.e.s.
(c) Youssef Shoufan pour Exeko
Ce soir, on roule dans la Van d’idAction, avec Andréann et James, pour aller à la rencontre des itinérant.e.s et leur redonner du baume à l’âme, à grand coup de livres, gratuitement distribués et de Kombucha, généreusement dispensé. Autres visages, mêmes lieux. Baladé.e.s aux quatre vents, on serre des mains, on garoche des sourires à tout va, on avance d’un pas guilleret. L’idée c’est d’échanger, donner du réconfort mais sans s’apitoyer, épauler, puis apprendre. D’eux et elles. Nous, on arrive avec nos livres, nos savoirs, notre éducation, nos a priori et nos idées bien pensantes. Eux et elles nous regardent avec envie, parfois mêlée d’un rire moqueur et d’amertume. Certain.e.s viennent vers nous et nous blaguent, d’autres nous regardent avec défiance et fuient nos approches, d’autres encore nous provoquent, et d’autres nous aiment déjà. Tou.te.s ont eu une vie comme nous, avant. Tou.te.s ont aimé, travaillé, étudié. La plupart sont brillant.e.s, cultivés, et parents.
En une nuit, j’ai rencontré une poignée de gens marquant.e.s et atypiques qui ont vécu cent vies. D’abord il y a eu la gang de la rue Sainte-Catherine, des anglophones, qui nous font une fête quand nous arrivons. Leurs sourires se déploient sous l’objectif magique du vieux Leïka de James, notre médiateur qui rend hommage aux itinérant.e.s qu’on rencontre en immortalisant leurs moments. Avec force accolades et boissons chaudes, on se repasse les bons moments avec eux en regardant les clichés de James, précieusement répertoriés dans un antique album photos intitulé LE Bible. Les confidences vont bon train. Puis on repart, déjà un peu tristes de les quitter. Plus loin, dans la bouche du métro qui fourmille, S. voit défiler sous ses yeux, à longueur de temps, des gens indifférent.e.s et pressé.e.s. Arborant un sourire éclatant, il nous raconte quelques anecdotes de la journée. Un peu plus loin, un de ses acolytes, plus timide, se tient seul. Mais c’est sans compter sur l’habileté de James et la douceur d’Andréann… très vite, il se détend. Une dernière rencontre et non des moindres, c’est celle d’un itinérant au caractère rebelle bien trempé. Il affiche un style urbain-chic très soigné et assez original, dont ses multiples bagues rocky et sa barbe bien fournie en sont la preuve. Sous ses airs faussement revêches, il nous niaise, Andréann et moi, et conclut par cette phrase mémorable, appuyée d’un regard tendre et coquin, « après tout, je n’ai que 63 ans, j’ai toute la vie devant moi. ». Ça donne envie d’aller de l’avant, non?
(c) Audrey-Lise Mallet pour Exeko
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