Par Jani Greffe : 10/01/2020 - 11:13
Aujourd’hui, je prends la parole, consciente de ma positionnalité dans le milieu. Je prends la parole en tant que femme blanche, travaillant dans un organisme majoritairement blanc, majoritairement allochtone qui travaille en collaboration avec les populations marginalisées. Je prends la parole, consciente que mon travail tient sur des injustices qu’un système colonialiste, dont je profite et auquel je contribue, a créées.
Trois jours après le décès de Joyce Echaquan, comme plusieurs, sa voix résonne encore. Pour plusieurs, cette voix, cette détresse, ces derniers moments de vie ont été entendus comme une première, comme un premier contact tangible avec le racisme systémique que subissent les Autochtones. Une preuve irréfutable que les Autochtones du Québec sont encore à ce jour victimes d’un système colonialiste. Une preuve du racisme qui sévit quotidiennement et qui n’a jamais cessé… Ces images sont venues vers nous parmi notre fil d’actualité comme toutes les autres qui sont passées devant nos yeux ce matin-là… Ces images sont beaucoup plus qu’un article qu’on peut dérouler afin de l’éviter une fois visionné.
C’est la détresse d’une femme. Une femme autochtone.
JOYCE ECHAQUAN
Une jeune mère de 37 ans, Atikamekw de Manawan.
Les journaux diront qu’on entend dire des mots inintelligibles… Ceux qui les ont reçus et vers qui ils étaient dirigés les ont compris, puisqu’ils étaient compréhensibles pour toutes personnes parlant atikamekw. Il s’agissait d’un appel à l’aide. Aujourd’hui, mon cœur se tourne tout d’abord vers la famille Echaquan, les 7 enfants et le mari de Joyce, la communauté de Manawan et la nation atikamekw. Mon cœur se tourne vers nos collègues et partenaires avec qui nous avons la chance de collaborer dans les communautés voisines de Manawan qui sont des proches, ami.e.s, familles ou connaissances de Joyce. Je pense à vous tou.te.s qui vivez un deuil teinté d’une couleur bien douloureuse, celle du racisme. Puisque si les paroles de Joyce sont incompréhensibles, si vous parlez le français, celles des infirmières sont claires. Les derniers moments de Joyce ont été pollués par des propos horrifiants, d’un racisme que l’on croit inexistant ou mort depuis longtemps au Québec… Et pourtant, on l’entend clairement… On ne peut pas s’en détourner ou le nommer autrement à l’écoute de cette vidéo.
Ironie bien sombre, cette tragédie arrive un an tout exactement après le dépôt du rapport de la Commission Viens qui avait pour mandat de faire enquête sur les relations entre les Autochtones et les services publics au Québec. Un des nombreux rapports résultant des nombreuses commissions ayant pour objectif d’améliorer les conditions de vie des Autochtones et leurs relations avec les services publics. Il s’agit de plusieurs centaines de recommandations au total… Seulement 4 des 142 appels à l’action du rapport de la Commission Viens ont été mises en œuvre depuis. Dans le concret, dans les institutions, le racisme systémique est toujours présent. Les recommandations mises en place tiennent plus souvent de la reconnaissance que de mesures concrètes. Pendant ce temps, qui est imputable des Autochtones tué.e.s par des policiers lors de contrôles de bien-être ? Qui est imputable des gestes et paroles posées dans les hôpitaux? Qui est imputable de la mort des dizaines d’Autochtones en situation d’itinérance à Montréal cette année, particulièrement des femmes? Congédier une infirmière qui a eu des propos d’une violence et d’un racisme monumental, n’est pas une finalité qui frappera la fin du racisme systémique. Combien de live Facebook aurons-nous besoin pour être assez en colère et briser le silence? Qu’attendons-nous pour exiger collectivement et fermementt que les choses changent? Que tou.te.s puissent bénéficier de soins de santé et des services publics dans la sécurité et le respect sans y risquer leur vie.
Ces faits nous invitent à nous questionner sur le pouvoir que nous avons de changer les choses individuellement et collectivement. De quelle manière contribuons-nous à ce système? À la lumière de ces réflexions et de l’inaction habituelle observée face aux recommandations, Exeko s’engage à ne plus tenir ou participer à des consultations qui serviraient spécifiquement à faire des portraits de populations opprimées, tout du moins d’ici à ce que des gestes et des actions concrètes soient posés. Par le fait même, nous nous engageons à exiger que les municipalités, et gouvernements se tournent plutôt vers les nombreux rapports déjà rédigés ainsi que les données, informations et connaissances déjà présentes au sein même des communautés, milieux et organismes concernés. Exeko s’engage à répondre présent si la demande vient des populations concernées uniquement. Nous sommes conscient.e.s à ce jour de l’impact néfaste qu’a, sur ces populations, la répétition de ces initiatives et l’inaction face aux recommandations.
Nous voulons que les rapports, portraits et recherches portées par les personnes concernées soient considérés et priorisés. C’est pourquoi nous nous engageons à contribuer, prioritairement, à la mise en oeuvre des recommandations mentionnées dans le Plan d’action contre le racisme et la discrimination de l’APNLQ sorti en début de semaine, qui invite à s’engager AVEC les premières nations contre le racisme et la discrimination. Nous écouterons leurs voix plutôt que celles gouvernementales en ce qui concerne cet enjeu. Nous vous invitons aussi à vous informer et à en prendre connaissance.
Tous les textes du monde, les lettres de soutien, les prises de paroles et les indignations ne pourront venir effacer la peine et la douleur ressenties par les familles, communautés et nations qui ont perdu des êtres chers dans des circonstances troublantes découlant directement du racisme systémique, se traduisant trop souvent par du racisme ordinaire, porté par des individus.Le racisme systémique restera un mur indestructible, tant et aussi longtemps que nous en serons les briques qui en subissent le poids tout en le supportant.
- Jani Greffe-Bélanger, co-directrice des programme
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